UN HOMOSEXUEL DISCRET ?

Hôte fastueux, affectionnant le luxe et les honneurs, collectionnant les decorations, entoure d'une cour de celibataires, Cambaceres incarne jusqu'à la caricature un certain type d'homosexuel, qu'ont illustre egalement Lyautey, de Lattre de Tassigny...
Il semble d'apres Aubriet que Cambaceres decouvre aupres de certains de ses condisciples un certain "goût de college" qu'il garde jusqu'à la fin de sa vie : on ne lui connaît aucune aventure feminine. Sous l'Ancien regime, l'homosexualite est encore un delit : c'est pourquoi son professeur lui adresse de vifs reproches et lui predit que ce goût l'empechera de faire carriere et le mettra au ban de la societe. Apres ses etudes, il se montre discret, mais on lui prete des relations intimes avec d'Aigrefeuille et Villevieille et la rumeur coûte à Cambaceres une place de depute aux etats du Languedoc que son pere essaye de lui obtenir.
Sous la Revolution, Cambaceres reste tres discret : sa situation financiere et politique ne lui permet pas d'afficher un luxe et un faste qu'il affectionne beaucoup. Cela ne l'empeche pas de defendre aussi souvent que necessaire les droits des homosexuels et des celibataires. Ministre de la Justice, il s'attache les services de deux  secretaires : Lavollee et Montvel. Devenu second Consul, il s'entoure d'une cour composee exclusivement de jeunes hommes celibataires issus de la bonne societe parisienne et montpellieraine. Talleyrand avait pour habitude de designer les trois Consuls par une formule latine : "Hic" (masculin) pour Bonaparte, "Haec" (feminin) pour Cambaceres et "Hunc" (neutre) pour Lebrun.
Les ragots vont bon train dans la societe consulaire, puis imperiale : la vie privee de Cambaceres est le sujet de caricatures royalistes, où il est surnomme l'Archifou ou Tante Turlurette. Vialles evoque des rapports d'espions royalistes relatant que les suivantes de l'Imperatrice se rejouissent beaucoup des licences de l'Archichancelier et en font le sujet ordinaire de leur plaisanteries (anecdotes sujettes à caution). Napoleon, lui-meme, plaisante Cambaceres lorsque celui-ci lui rapporte qu'il a confie une mission diplomatique à une dame : "Mes compliments, vous vous etes donc rapproche des femmes?".
Mais Cambaceres ne modifie pas pour autant sa façon de vivre et entretient, malgre lui, la rumeur par des souvenirs de jeunesse : "J'allais voir les filles comme un autre, mais je n'y restais pas longtemps : des que mon affaire etait finie, je leur disais : adieu, messieurs! et je m'en allais.". Un jour, alors qu'il arrive en retard au Conseil des ministres et s'excuse : "Je vous demande pardon Sire, j'etais avec une dame", l'Empereur lui retorque : "Eh bien la prochaine fois vous lui direz : Prends ton chapeau, ta canne et laisse moi."

LA PROMENADE DU PALAIS-ROYAL

Promenade du Palais-Royal (1814) La promenade du Palais-Royal de Cambaceres est un spectacle tres couru, les touristes de passage à Paris viennent assister à ce cortege tres haut en couleurs : on voit Cambaceres en perruque poudree et habit à jabot, entoure de Lavollee, d'Aigrefeuille, Montvel, etc, des domestiques en livree ouvrant et fermant la marche. Les journaux britanniques en faisant leurs choux gras, Napoleon dit à Josephine : "Il faut te meler de cela, entends-tu? Il n'y a qu'une femme qui peut dire à un homme qu'il est ridicule. Si je m'en mele, je lui dirais qu'il est fou.". Un soir Fouche organise avec l'accord de l'Empereur un contre-cortege plus ridicule, où l'on voit un Louis XVI entoure de courtisans et de valets. Voyant cela, Cambaceres, pince, demande à d'Aigrefeuille : "Sommes-nous donc au carnaval ou à la mi-careme?" et continue sa marche vers le theâtre des Varietes.

Cambaceres aime aussi se promener plus discretement dans les jardins du Palais-Royal. Ainsi un rapport de police relate que le 31/12/1802 vers 23h15 Cambaceres se promene seul en habit bourgeois et chapeau rond, il est reconnu assez rapidement par la foule qui se presse autour de lui.

Portrait d'Henriette GuizotDe guerre lasse, Napoleon ordonne à son Prince-Archichancelier de s'afficher avec une maîtresse afin de faire cesser les injures, dont est la cible le deuxieme personnage de l'etat. Cambaceres choisit Mlle Guizot, actrice portant le travesti à merveille, ce qui relance les ragots. Peu de temps apres le debut de cette liaison, on croit  Mlle Guizot enceinte. Un courtisan s'empresse de feliciter Cambaceres : "Ah, monseigneur, voilà une grossesse qui vous fait honneur. On dit que Mlle Guizot porte les marques visibles de votre attachement pour elle."  L'Archichancelier lui repond froidement : "Cela regarde Monsieur de R., en ce qui me concerne, je n'ai connu Mlle Guizot que posterieurement." (adverbe qui fit beaucoup rire les personnes presentes à la Cour).

Contrairement à Fievee, Cambaceres ne s'est jamais affiche avec un homme en public. Il est probable qu'il ait entretenu une liaison avec son secretaire Olivier Lavollee de vingt-deux ans son cadet. Lavollee, jeune homme d'une grande beaute d'apres Lamothe-Langon, etait l'intime de Cambaceres depuis leur rencontre au Ministere de la Justice en 1799. Marie quelques annees plus tard avec la niece de Cambaceres : il abandonne femme et enfants à Paris pour suivre Cambaceres en exil à Bruxelles, demeurant aupres de lui meme lorsque sa femme tombe malade. Certains pretendent sans preuve que la dedicace de la statue de Cupidon se trouvant dans la chambre de l'hôtel Mole : "Il sera toujours un dieu pour moi" etait adressee à Lavollee.

CAMBACERES AU PANTHEON GAY
Cambaceres n'a jamais oublie ses "semblables" et c'est grâce à son intervention que l'homosexualite n'est plus consideree comme un delit dans les versions successives du Code penal (1793 et 1810). Cette action lui vaut des attaques virulentes de la part des emigres et des ultras à la Restauration. Apres sa mort, Cambaceres continue à  faire l'objet d'attaques sur sa sexualite. Ainsi en 1859, le Second Empire veut honorer Cambaceres en lui edifiant une statue sur une des places publiques de Montpellier, mais le conseil municipal relegue la statue sous le peristyle de Palais de Justice, où elle se trouve encore aujourd'hui. C'est pourquoi j'ai interpelle Monsieur Georges Freche, maire de Montpellier et Madame elisabeth Guigou, ministre de la Justice,  pour que cesse cette injustice et que l'on rende à Cambaceres la place qui lui est due.

20/08/06 - Emmanuel Prunaux